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« Can the animal speak ? » Des théories postcoloniales aux études animales. Implications biopolitiques.

Mme Catherine Repussard

Maître de conférences à l'Université de Strasbourg

Les théories postcoloniales qui se sont affirmées dans le domaine académique à partir des années 1980 ont largement contribué au décentrement culturel des regards dits « hégémoniques » et ont, en ce sens, ouvert la voie à l’intégration de l’altérité et d’une parole « autre », celle des subalternes, jusque là largement confisquée. Il est dès lors légitime de placer notre contribution dans le sillage d’un article majeur de G. Spivak (« Can the subaltern speak ?», 1988) et de nous demander si les animaux peuvent parler tout en accordant du crédit à la réponse positive que cette dernière apporte à la question posée, à condition que l’on veuille bien les entendre. Et, pourrions-nous ajouter avec Frans de Waal, que nous soyons assez intelligent pour comprendre l’intelligence des animaux.
Ainsi, les théories postcoloniales ont, semblerait-il, nettement infléchi les études animales, notamment par l’importance accordée aux notions d’hybridité, de mimicry et de coagency. À leur instar, les études animales visent à interpeller le fonds de pensée occidental – en remettant en question la place centrale de l’humanisme par exemple – et peuvent de ce fait être saisies comme un combat politique. Dénier la place centrale à l’humain et le considérer comme simple partie du grand Tout du vivant implique un questionnement quant à l’impact biopolitique d’une telle entreprise, destinée à établir de « nouvelles règles pour le parc humain » (Sloterdjik).

modération: Isabel Irribaren et Catherine Répussard

Durée :

Les Études Animales Sont-Elles Bonnes A Penser ? (RE)INVENTER LES SCIENCES, (RE)PENSER LA RELATION HOMME/ANIMAL

Du au

MISHA, Strasbourg

MISHA

Ce colloque est organisé dans le cadre du programme de la Maison interuniversitaire des Sciences de l’Homme-Alsace (MISHA, Université de Strasbourg) 2017-2018 « La rencontre homme-animal au croisement de la religion, de la culture et de la science. Généalogie et perspectives » porté par Aurélie Choné et Catherine Repussard. Ce colloque se fait aussi, comme depuis deux ans, dans le cadre du master Ethique à spécialisation « Ethique et Droit de l’animal » du Centre Européen D’Enseignement et de Recherche en Ethique (CEERE, Université de Strasbourg). La dernière journée a lieu également dans le cadre du programme de formation recherche du Centre interdisciplinaire d'étude et de recherche sur l'Allemagne (CIERA) 2017-2019 "Circulations et renouvellement des savoirs sur la nature et l’environnement en France et en Allemagne : vers des Humanités environnementales.

Nous partons du constat qu’il existe un « tournant animal(iste) » dans l’histoire des sciences et des savoirs. Depuis déjà quelques décennies, la « question animale » est tellement structurante qu’elle reconfigure les disciplines elles-mêmes : de la philosophie émerge la philosophie animale, de l’histoire l’« histoire animale », de la sociologie la « sociologie avec ou pour les animaux », des études littéraires les études animales littéraires, de l’éthique l’« éthique animale », du droit le « droit animal » ; les études postcoloniales et les études visuelles s’intéressent de plus en plus à l’animal ; la théologie s’ouvre à l’écothéologie et à une théologie de la création qui se penche plus volontiers sur la place de l’animal, etc. Ce colloque se propose d’étudier les décentrements épistémologiques parfois rendus nécessaires par ces nouvelles postures faisant une place aux animaux, ainsi que l’ouverture inter- et transdisciplinaire qu’elles présupposent (vers l’éthologie, la zoologie, la primatologie, la morale, la politique par exemple) et les hybridations disciplinaires auxquelles elles donnent lieu (ethnozoologie, zoosémiotique, zoopoétique, anthropozoologie, éthologie philosophique…). Notre questionnement portera également sur les résistances au sein de certaines disciplines et sur les raisons de ces résistances. Celles-ci révèlent d’autres enjeux, autant religieux et idéologiques que politiques et économiques, notamment liés à l’industrie (pharmaceutique, alimentaire, du luxe…). Dans la recherche fondamentale, évoquons notamment les réticences de certaines disciplines (chimie, biologie et médecine, notamment médecine vétérinaire…) à abandonner l’expérimentation sur l’animal, ou bien, pour ce qui est de la théologie et des sciences religieuses, le poids de certains impératifs doctrinaux issus des textes fondamentaux, des traditions ou des cultures religieuses. Une attention particulière sera accordée aux réflexions menées en France et en Allemagne. On s’attachera à interroger l’émergence des reconfigurations disciplinaires et la dynamique de recherche sur ces questions dans les deux pays afin de dégager leurs différences ou similarités.

https://sites.google.com/site/droitetethiquedelanimal/ue-debats-ethique-animale/colloque-interdisciplinaire-et-international-les-etudes-animales-sont-elles-bonnes-a-penser

Thème(s) : Sciences

Lettres, Arts, Langues et Civilisations, Sciences humaines, sociales, de l’éducation et de l’information, Sciences juridiques et politiques, Sciences fondamentales

Producteur : Université de Strasbourg

Réalisateur : Université de Strasbourg

Session 1. Histoire des sciences, biographies animales

Mot de bienvenue

Mme C Maillard

Directrice de la MISHA,

Mme Anne Bandry

Doyenne de la Faculté des Langues

Introduction

Mme Aurélie Choné

Université de Strasbourg

Mme Catherine Repussard

Maître de conférences à l'Université de Strasbourg

La face cachée de Darwin

M. Pierre Jouventin

Longtemps Directeur de recherche au CNRS en éthologie des oiseaux et mammifères & Directeur de laboratoire CNRS d'écologie

Considéré comme un pur scientifique, Darwin dans ses écrits intimes comme dans les détails de sa vie révèlent sa ‘face cachée' de philosophe et moraliste qu’il a niée pour éviter les polémiques idéologiques, religieuses, politiques et sociales. Le darwinisme a d’ailleurs mis 80 ans à être accepté dans notre pays, darwinisme et 'darwinisme social' étant jusqu’à récemment confondus. D’où un piège où sont tombés les biographes qui ont cru Darwin sur parole.
Comment la Création sans Dieu et l'Animalité de l'Homme pouvaient-ils ne pas créer de débat de fond ? L’opposition Homme/Animal, Nature/Culture, Inné/Acquis, qui constitue dans une bonne mesure la base de la culture occidentale, se révèle aujourd’hui artificielle. Une révolution conceptuelle est en cours qui s’appuie sur les avancées scientifiques les plus récentes en éthologie, écologie, épigénétique, préhistoire et paléoanthropologie. Nous commençons seulement à découvrir la face cachée de Darwin, comme par exemple cette affirmation qui parait celle d’un vegan d’aujourd’hui : « Les animaux, dont nous avons fait nos esclaves, nous n’aimons pas les considérer comme nos égaux » (Notebook B,Ed.van Wyhe,1838)

La revue 'Sciences et Avenir' a classé 'La face cachée de Darwin' parmi les sept meilleurs livres de l'année 2014 :
http://www.sciencesetavenir.fr/a-voir-a-faire/20141223.OBS8588/7-livres-parmi-les-meilleurs-de-l-annee-2014.html

Les émotions chez Darwin

Mme Stéphanie Dupouy

maître de conférences en philosophie à l'Université de Strasbourg

Cette communication s’interrogera sur les formes prises par le « tournant animaliste » dans la discipline qu’est l’histoire des sciences, en particulier dans le domaine des études darwiniennes. Nous montrerons qu’un des aspects de ce tournant a consisté à réévaluer positivement ce qu’il est convenu d’appeler l’ « anthropomorphisme darwinien », anthropomorphisme qui était traditionnellement considéré (à la fois par les fondateurs de l’éthologie et par une première génération d’historiens du darwinisme) comme une faiblesse de l’analyse de Darwin.
Nous nous demanderons néanmoins dans quelle mesure cette valorisation de l’anthropomorphisme chez Darwin n’a pas aussi contribué à occulter d’autres dimensions, plus riches mais plus difficiles à penser, de la pensée darwinienne de l’animalité. En effet, il est possible de montrer que Darwin n’a pas seulement cherché à affirmer la continuité de l’animal et de l’homme, mais aussi à dépasser une certaine forme d’anthropocentrisme en s’attachant à observer l’originalité des vies animales. Notre communication s’intéressera donc aux tensions entre ces deux aspects de l’œuvre de Darwin, et à ces deux formes possibles (partiellement divergentes) du tournant animaliste dans la lecture de l’œuvre darwinienne : la promotion de l’anthropomorphisme ou le rejet de l’anthropocentrisme.

Penser les individus

M. Eric Baratay

professeur d'Histoire à l'Université Jean-Moulin de Lyon, spécialiste de l’histoire de l’animal

Pour aller plus loin dans l'étude des animaux, il devient nécessaire de dépasser l'animalité, l'animal, les espèces et de s'intéresser aux individus. L'approche apparaît maintenant autant indispensable en éthologie que dans les sciences dites humaines qui s'intéressent aux relations des hommes et des animaux, au versant animal aussi bien qu'au versant humain de cette relation. On développera une réflexion sur cette arrivée aux individus, sur les notions et les concepts utilisés, sur les méthodes et les pistes à emprunter pour interroger, par exemple, les questions de rencontre, de relation interindividuelle

« Can the animal speak ? » Des théories postcoloniales aux études animales. Implications biopolitiques.

Mme Catherine Repussard

Maître de conférences à l'Université de Strasbourg

Les théories postcoloniales qui se sont affirmées dans le domaine académique à partir des années 1980 ont largement contribué au décentrement culturel des regards dits « hégémoniques » et ont, en ce sens, ouvert la voie à l’intégration de l’altérité et d’une parole « autre », celle des subalternes, jusque là largement confisquée. Il est dès lors légitime de placer notre contribution dans le sillage d’un article majeur de G. Spivak (« Can the subaltern speak ?», 1988) et de nous demander si les animaux peuvent parler tout en accordant du crédit à la réponse positive que cette dernière apporte à la question posée, à condition que l’on veuille bien les entendre. Et, pourrions-nous ajouter avec Frans de Waal, que nous soyons assez intelligent pour comprendre l’intelligence des animaux.
Ainsi, les théories postcoloniales ont, semblerait-il, nettement infléchi les études animales, notamment par l’importance accordée aux notions d’hybridité, de mimicry et de coagency. À leur instar, les études animales visent à interpeller le fonds de pensée occidental – en remettant en question la place centrale de l’humanisme par exemple – et peuvent de ce fait être saisies comme un combat politique. Dénier la place centrale à l’humain et le considérer comme simple partie du grand Tout du vivant implique un questionnement quant à l’impact biopolitique d’une telle entreprise, destinée à établir de « nouvelles règles pour le parc humain » (Sloterdjik).